Entre deux projets d’exposition, Emmanuelle Leblanc a répondu à nos questions autour de son exposition à Atelier Martel, « L’œil concave », qui ouvrira ses portes le 6 octobre pour une durée de trois mois dans les locaux de l’agence.
Atelier Martel : Pour cette exposition, tu transformes à la fois la structure béton et les fenêtres de l’agence. Quels liens entretiens-tu avec l’architecture dans ta pratique et dans ton parcours ?
Emmanuelle Leblanc : Au départ c’est vrai que je suis plutôt dans le travail de la surface, donc dans du bidimensionnel. Mais en réalité, je réfléchis le plus souvent mes formats et mes installations en fonction de l’espace d’exposition. Même si c’est une petite exposition, je vais toujours étudier les rapports de proportions entre la surface du tableau, la périphérie du mur et l’espace global. Je pense d’ailleurs que je n’ai jamais été très loin de l’architecture et même si mon travail est avant tout pictural, il y a réellement eu un basculement progressif au fil des années vers quelque chose de plus spatialisé, de beaucoup plus atmosphérique, vers une disparition de l’image en somme. J’ai aussi beaucoup tendu vers des recherches sur la lumière et, dans la continuité de ça, il y a eu assez naturellement une volonté d’arpenter les volumes et les espaces construits.
AM : Comment appréhendes-tu le fait de présenter tes œuvres dans un espace de travail ?
EL : Ça change des espaces où j’expose d’habitude, c’est sûr. Et en même temps, assez récemment j’ai réalisé une installation immersive chez des particuliers, des collectionneurs d’art contemporain, et en réalité c’est un peu la même démarche dans le sens où des gens vont vivre au contact des œuvres, et ici y travailler dans le cas d’Atelier Martel. C’est quelque chose qui m’intéresse parce que j’aime bien les œuvres qui s’appréhendent dans le temps, qu’on peut regarder puis reregarder et découvrir petit à petit. Même si on n’y porte pas un regard tout le temps attentif, j’aime l’idée que ce sont des œuvres qui vont venir s’infuser dans le temps.
AM : Ton travail est parcouru d’aplats et de variations chromatiques et ici tu travailles avec des couleurs assez chaudes et vives (l’ocre jaune et rouge, le doré) ; est-ce que ce choix de couleurs a un lien avec tes résidences récentes en Inde et avec les palettes chromatiques que tu as rencontré sur place ?
EL : Oui tout à fait ! Mes palettes sont très souvent issues de voyages et c’est vrai que j’ai récemment fait deux résidences en Inde, une en 2019 et une autre en 2021. Après ça, je pense qu’il y a eu une forme de basculement dans mes palettes chromatiques. Avant, j’étais davantage dans des tonalités feutrées, des couleurs plutôt issues du « paysage européen » on va dire. Et puis en Inde, ils ont une tout autre culture de la couleur, très vive et saturée de couleurs, c’était assez fascinant! Et je pense qu’à partir de ce moment-là je me suis autorisée à aller vers des palettes, beaucoup plus intense, et vers des associations de couleurs très nouvelles pour moi. Aussi, j’identifie qu’avant on pouvait vraiment voir dans mon travail des paysages, abstraits mais présents, et que j’étais beaucoup plus proche de l’image ; à partir de l’Inde je suis vraiment allée chercher la sensation pure de la couleur. Donc oui ces résidences en Inde ont forcément eu un impact important sur ma rétine et, conséquemment, sur ma production.
AM : Outre l’aspect visuel chromatique de ton travail, tes œuvres ont souvent un côté assez sensoriel, on a un peu l’impression d’être « enveloppé·es » par la couleur. Comment intègres-tu cet aspect sensible dans ton travail ?
EL : Je vais te répondre en deux temps. Pour commencer, ce rapport sensible je pense que je m’emploie à le créer très en amont dans mon travail. En ça, j’ai une pratique de peintre « traditionnelle », c’est à dire que j’ai à disposition des tubes de peinture à l’huile et que je travaille par couches. Le processus en soi est assez long et ce travail de couleur couche par couche engendre des variations d’apparence selon l’angle de vue, la luminosité… Mes couleurs ont besoin de temps pour être appréhendées et elles sont changeantes, en ça je pense que le récepteur peut appréhender sensoriellement et différemment mon travail selon divers paramètres temporels et atmosphériques, c’est une expérience sensible.
Par ailleurs, la couleur est un langage assez universel, même si c’est très codifié, culturel et relatif bien sûr, mais je me rends compte que ça parle vraiment à des publics très différents, occidentaux et non occidentaux, jeunes et moins jeunes, connaisseurs et néophytes… Et même si j’ai un goût évident pour l’histoire «matériologique» de la couleur, qu’on retrouve dans les titres que je donne à mes œuvres notamment, mon but c’est vraiment de susciter une émotion. Il n’y a pas forcément besoin de clés de lecture pour appréhender mon travail, et en ce sens je me situe vraiment plus du côté de l’expérientiel et donc sensible.
Informations pratiques
Exposition du 6 octobre 2022 au 6 janvier 2022
Vernissage public de l’exposition le jeudi 6 octobre à partir de 18 h (entrée libre) en présence de l’artiste